PandoreElle savait simplement qu’elle devait être présente et intervenir. Il en allait de sa survie. Sa survie à lui, mais son calvaire à elle…….
Elle aurait pu ignorer les signes, faire la sourde oreille, elle aurait enfin été libre, libre de rejoindre son monde. Mais hélas pour elle et fort heureusement pour nous la compassion fait partie intrinsèque de sa nature, il lui est fort difficile, voire impossible d’y résister ou alors la souffrance en devient encore plus intolérable qu’à son habitude.
Elle n’est qu’un vecteur, sa tâche bien qu’indispensable demeure invisible aux yeux de tous enfin presque….
Un éclat brillant, révélé par la réverbération du soleil, un bras qui se tend, du sang qui coule et tout est déjà joué !
La scène n’aura duré que quelques secondes et sans le réflexe de cette jeune femme qui s’est mise entre la lame du poignard et Bill, nul ne sait ce qui aurait pu advenir du chanteur du groupe Tokio Hotel. L’un des gardes embarque à une vitesse record les quatre membres du groupe dans le van, un autre pose un garrot à la blessée, tandis que deux autres poursuivent l’agresseur.
- Je vous emmène à l’hôpital !
- Non pas besoin.
- Ah que si ! Cela n’arrête pas de saigner, la blessure est profonde, un pansement n’y suffira pas !
- Amenez-moi juste dans un endroit tranquille, hors de question que j’aille dans un hôpital.
- Mais …..
- Pas de mais, lui répond fermement la jeune femme d’un ton ne souffrant aucune réplique.
Le garde lui désigne un second van et l’invite à y monter. Il prend place à ses côtés et fait un signe au chauffeur. Le trajet, d’une dizaine de minutes, se termine devant un somptueux palace. Se tournant vers elle, le garde lui dit :
- Suivez-moi, je vous fais donner une chambre, j’espère que cela vous conviendra !
- C’est parfait je vous remercie, lui fait-elle avec reconnaissance.
Le jeune femme, dont le teint plutôt pâle laisse entrevoir la douleur, s’empresse de se rendre dans sa chambre, tandis que le garde va rejoindre le groupe un étage plus bas afin de leur raconter les derniers événements.
- Elle va bien ? s’inquiète Bill.
- Pas vraiment, elle est toute pâle et pas moyen de la convaincre d’aller à l’hôpital!
- Où est-elle ?
- Un étage plus haut chambre 515. J’ai pris sur moi de l’amener ici, j’espère que j’ai bien fait !
- Oui, bien sûr ! Je vais la voir et la remercier, c’est la moindre des choses, fit Bill.
Arrivé au cinquième étage, il frappa doucement à la porte : pas de réponse ! Inquiet, il se risqua à entrer et resta bouche bée devant le spectacle qui s’offrait à ses yeux. Il se sentit frissonner. Entre la peur et la curiosité cette dernière l‘emporta. Sans un bruit il referma la porte et observa la scène, sans oser s’approcher ou manifester sa présence.
La jeune femme était assise à même le sol en tailleur, il voyait son profil fin se découper dans les jeux d’ombre et de lumière. Les rideaux étaient tirés mais laissaient tout même filtrer une discrète clarté.
Son bras droit sérieusement entaillé saignait, colorant de cramoisi le linge qu’elle avait eu la précaution de déposer devant elle pour protéger la douce moquette de la chambre. Son coude gauche reposait sur sa jambe la paume tournée vers le ciel.
Il perçut soudain le chant, enfin une sorte de vibration sourde émise par la jeune femme, il voyait sa bouche entre-ouverte mais ses lèves ne bougeaient pas et pourtant cela ne pouvait venir d’ailleurs. La tonalité montait puis descendait en une sorte de rythme envoutant, à la fois harmonieux et discordant. Bill n’avait jamais rien entendu de pareil, cela le fascinait, il se sentait comme en phase avec cette drôle de musique sans pouvoir expliquer pourquoi : elle n’était ni belle, ni laide, juste différente.
Un phénomène se produisit au moment même où le chant sembla atteindre son apogée : la main gauche de la jeune femme se mit à luire et levant sa main auréolée de lumière, elle la passa sur son bras droit, toute trace de blessure disparut. Elle cessa de chanter, se leva doucement. C’est alors qu’il vit les larmes qui avaient coulé sur ses joues. La jeune femme semblait perdue dans de tristes pensées, elle n’avait toujours pas pris garde à sa présence. S’approchant d’une plante verte en piteux état, elle caressa les feuilles de la main et sous l’effet de cette douce lumière, en quelques secondes, la plante reverdit et fleurit, tandis que la luminosité émise par sa main allait en s’atténuant jusqu’à disparaître totalement. Le parfum suave de la plante embauma la chambre, arrachant un sourire à cette étrange femme :
- Vis, vis, tandis que je meure, murmura-t-elle à l’intention de la plante.
Levant ensuite les yeux au ciel :
- Libera me !
C’est alors qu’elle se rendit compte qu’elle n’était pas seule :
- Que puis-je pour toi ?
- Je…..je voulais juste te remercier !
- De rien ! Elle lui sourit, mais son regard reflétait une infinie tristesse.
- Pourquoi es-tu si triste ?
- En te sauvant, je me suis condamnée !
- Comment ?
- Cela fait partie de ma nature !
- De te sacrifier ?
- En quelque sorte!
- Je ne comprends pas !
- Je suis une sorte de vecteur entre la peine et le bonheur. Ta musique est une sorte de bonheur infini, je m’en nourris et ensuite je remplis d’un peu de ce bonheur, ceux dont le cœur est si plein de peine qu’ils sont prêts à tout abandonner. Tant qu’il y aura suffisamment de bonheur pour contrebalancer la peine, je serai utile à ce monde et je devrai y rester.
- Tu veux dire que sans notre musique……
- Oui, vous êtes une telle source de bonheur pour tant de monde, que vous êtes l’une des dernières forces qui me maintiennent ici !
- Donc si j’étais mort …..
- J’aurais pu m’en aller….enfin !
- Où ça ?
- Dans un monde différent, sans peine, sans mal, où tout n’est qu’harmonie !
- Cela existe ?
- Bien sûr !
- Et nous on peut y aller ?
- Au dernier jour, certains d’entre vous le rejoindront !
- Mais, tu parles de la mort.
- Oui et non …. La mort n’est pas une fin en soi, c’est juste la porte vers un autre monde, différent, plus parfait !
- Tu en es sûre ?
- Certaine.
- Comment peux-tu en être si sûre ?
- Eh ! bien, je le ressens par le chant !
- Le chant ?
- L’Harmonie des Sphères, le chant du monde !
- Ce truc bizarre que j’ai entendu ?
- Tu l’as peut-être entendu, mais l’as-tu ressenti ? Tout n’est que vibrations, elles forment un chant, chacun de nous est une part de ce chant, chaque âme en forme une note. Tout ce qui existe dans les univers est lié par l’Harmonie des Sphères.
S’approchant de Bill, elle lui tendit ses deux mains paumes relevées.
- Fais-moi confiance et je te monterai !
Il posa, non sans une certaine crainte, ses mains aux longs doigts effilés, sur celles plus menues de la jeune femme. Sans que ses lèvres bougent le chant se fit entendre, il semblait émaner directement de la jeune femme, c’est comme s’il percevait la musique émise par son âme. Elle lui sourit, il avait enfin compris. Le chant se révélait à lui, il ressentait à la fois le bonheur et la souffrance qui faisaient d’elle cet être unique. Il voyait ce qui l’entourait différemment, la plante plus verte, ses nombreuses fleurs plus parfumées, plus fascinantes. Ses sens semblaient comme décuplés. Doucement le chant s’estompait, laissant place à une réalité moins belle, plus ordinaire….Il se sentit comme vide……tout semblait plus terne, infiniment triste, dénué de la moindre parcelle de joie. Il avait une irrépressible envie de pleurer qu’il contenait à grand peine.
- Pourquoi suis-je si triste ?
- Tu es comme moi, quand je suis dans ce monde !
- Je comprends que tu préfères le tien.
- Il vaut mieux que je parte, je te demanderai de garder tout ce que tu as vu pour toi !
- De toute façon personne ne me croirait.
- C’est mieux ainsi !
- Avant que tu ne partes, peux-tu me dire ton nom ?
- Dans chaque langue mon nom est différent; pour moi tu es Pandore et ta musique est une boite. Ce furent les derniers mots de la jeune femme avant qu’elle ne disparaisse aussi mystérieusement qu’elle était apparue.
De la mythologie, pas trop ma tasse de thé, pensa Bill. Mais je connais quelqu’un qui devrait savoir…..
- Georg, tu t’y connais en mythologie ?
- Elle va bien ?
- Qui ça ?
- Ben, tu n’es pas monté voir la fille qui s’est pris un coup de couteau à ta place ?
- Ah oui, désolé j’étais un peu ailleurs !
- Pas qu’un peu, on dirait ! Alors la fille ?
- Elle va bien, elle est partie !
- Je croyais que c’était grave !
- Faut croire que non.
- C’est bien bizarre tout ça, fit Georg en regardant Bill d’un drôle d’air.
- Tu te fais des idées !
- Ouais peut-être !
- Alors …la mythologie ?
- Tu veux savoir quoi ?
- Pandore et une boîte ça te dis quelque chose ?
- La Boîte de Pandore, oui bien sûr !
- Alors explique, fit impatiemment Bill.
- Il était une fois…… rigola Georg.
- C’est pas le moment de faire de l’humour, c’est important, trépigna Bill.
- Et pourquoi ?
- Un truc personnel.
Devant l’air résolu et le ton peu amène de Bill, Georg jugea préférable de ne pas trop insister, il avait rarement vu son ami ainsi. Il soupçonnait que sa questionne cache quelque chose d’important, mais que pour une mystérieuse raison, il ne voulait pas la partager avec lui.
- Pandore était une magnifique jeune femme façonnée par les Dieux, à laquelle furent donnée la beauté, l’amabilité, l’adresse, la grâce, l’intelligence, mais aussi l’art de la tromperie et de la séduction. Elle fut créée dans le but de se venger des hommes pour le vol du feu commis par Prométhée. Elle épousa le frère de ce dernier apportant avec elle une mystérieuse jarre, contenant tous les maux de l’humanité : la Vieillesse, la Maladie, la Guerre, la Famine, la Misère, la Folie, le Vice, la Tromperie et la Passion, ainsi que l'Espérance, jarre qu'il lui fut interdit d'ouvrir, elle en ignorait même le contenu. Ne résistant pas à la tentation, elle finit par l’ouvrir et libéra son contenu. Quand elle se rendit compte de son erreur, elle referma vite la boîte et seule l‘Espérance en resta prisonnière……. J’ai bien récité ma leçon, j’espère que cela te convient ?
- Espérance, Hope, Esperanza, murmura Bill………
fin